2016 May – June : recurrent demonstrations in Paris
Rien ne va plus ce printemps 2016. Les manifestations se sont enchaînées, les grèves de certains transports se sont succédées, les blocages de route, d’approvisionnement en essence ont rendu plusieurs jours la vie de certains automobilistes difficile… La coupe de l’Euro a commencé, le samedi 11 juin, dans une ambiance un peu difficile…
Pourquoi tout cela ? Le projet de loi Travail, appelé aussi El Khomri, reste la raison principale de ce mécontentement qui serait pour certains généralisé, pour d’autres restreint à certaines catégories de personnes… Que pensez de tout cela ?
Il semble que cet événement en dit long sur la société française actuelle et l’angoisse des français de voir leurs acquis sociaux disparaître d’un seul coup.
Petit rappel : la Loi Travail s’attaque au Code du travail :
- en le refondant (Titre Ier)
- en modifiant quelques principes qui géraient les relations salariés ⇄ patrons (Titre 2),
- en sécurisant les parcours professionnels (CPA) et en prenant en compte la place du numérique dans le modèle social (Titre III),
- en encourageant l’emploi auprès des TPE et PME (Titre IV),
- en réformant la médecine du travail (Titre V)
- en intégrant de nouvelles dispositions concernant la lutte contre le détachement illégal (Titre VI)
- en intégrant des dispositions diverses (Titre VII)
De ces 7 titres, deux font l’objet des plus fortes controverses : le Titre II et le Titre IV.
Le Titre II change fondamentalement le rapport de force au sein de l’entreprise. Pour résumer, avant cette loi, il y avait des accords de branches (qu’on appelait “conventions collectives”) et c’étaient ces accords qui géraient les rapports de force entre salariés et patrons. Après cette loi, ce ne seront plus ces accords qui primeront dans le dialogue et la négociation entre salariés et patrons mais ce seront les accords réalisés au sein des entreprises elles-mêmes (négociations d’entreprise) qui pourront devenir les nouvelles règles et ce, même sur les dispositions portant sur la durée du temps de travail, la mise en place des horaires, les congés payés…
➔ Les manifestations qui ont eu lieu ces mois de mai et juin ont pour principale cible ce titre II : la majorité des manifestants, refusant de voir disparaître les accords de branches, ont le sentiment que les salariés ne pourront être que les grands perdants de ces négociations d’entreprise et qu’ils devront à chaque fois accepter le dictat des performances économiques.
Le Titre IV, pour aider les TPE (très petites entreprises) et les PME (petites et moyennes entreprises) à s’adapter au monde et à être plus compétitives, veut faciliter les licenciements en clarifiant la définition du motif économique.
➔ Lors des premières manifestations de janvier, février et mars derniers, ce Titre IV était particulièrement remis en cause. Beaucoup de salariés (et de non-salariés aussi, chômeurs, indépendants…) ont demandé qu’on leur explique comment en facilitant les mesures de licenciement, on créerait plus d’emplois… car c’est en fait ce que tente de faire penser ce Titre IV. Or la corrélation entre les deux n’est pas si évidente…
Et les autres titres, me demanderez-vous ?
Et bien, il semble qu’ils sont un peu passés à la trappe du débat médiatique… ce qui n’est pas totalement juste car il y a, dans ce texte, des avancées en terme de progrès social et de protection des personnes qui travaillent :
- le CPA (qui n’est pas uniquement destiné aux salariés, les travailleurs indépendants, les demandeurs d’emploi, les apprentis… sont concernés) qui est un droit personnel à la formation tout au long de son parcours professionnel, quel que soit son statut (salarié, indépendant, fonctionnaire…).
- la prise en compte de la place du numérique dans la vie professionnelle et ses incidences sur la vie privée…
- la prise en compte des maux et maladies causés par la vie professionnelle
- la lutte contre le détachement illégal, c’est-à-dire la reconnaissance du fait que des entreprises abusent régulièrement d’une main d’oeuvre bon marché provenant d’Europe alors qu’elles pourraient embaucher localement (http://www.lefigaro.fr/conjoncture/2016/05/30/20002-2016)
- …
Les manifestations n’ont cessé tout le long du mois de mai 2016 de rassembler des centaines de milliers de personnes et une majorité de français (et ce même s’ils ne vont pas tous manifester et ne sont pas toujours d’accord avec les blocages en tout genre) refusent cette loi :
- le 5 mars 2016, déjà 70% des français se déclaraient opposés à la Loi Travail selon le sondage d’Odoxa.
- le 28 mai 2016, 46% des français disaient vouloir le retrait de la loi Travail au sondage Ifop-JDD.
Mais dans le même temps, ces mêmes français ne sont pas contre l’idée d’une réforme du Code du travail :
- le 5 mars 2016, 52% des français pensaient qu’une réforme du droit du travail pourrait permettre de favoriser l’emploi et l’activité économique des entreprises, selon le sondage d’Odoxa.
- le 25 décembre 2016, 63% des français jugeaient l’actuel code du travail comme un frein à l’emploi selon un sondage Écoscope Opinionway
Et c’est bien là le problème : les français savent que leur code du Travail n’est pas parfait, pas toujours très juste et décourageant parfois, ils sont donc prêts à dire qu’il faut le changer. Mais entre être prêts à “dire” et prêts à “changer”, il y a une marge… On veut que cela change mais dans le même temps on ne veut pas que ce changement ait un impact sur nos vies, notre quotidien ou s’il y en a un, il faut qu’il soit de suite clairement positif !
Cela montre combien il est difficile de réformer la France.
De plus, les français ont une façon bien à eux de se battre : ils ont cette tendance à être sur la défensive et s’immobiliser. Plutôt que de laisser cette réforme passer et voir si plus tard les entreprises abusent des articles des Titres II et IV, et alors d’intervenir, réagir et se battre contre ces abus réels et effectifs, ils préfèrent une bataille “immobilisante” contre l’éventualité d’abus, contre le fait qu’éventuellement les entreprises dans des accords interentreprises négocieront toujours au plus bas…
L’autre problème est la réponse politique à cette peur tétanisante des français. Les politiques veulent marquer l’histoire : les lois sont un peu leurs bébés, ils les portent, les chérissent et ne leur donnent que trop d’importance… Ils devraient apprendre à prendre de la distance avec ces lois pour faire accepter et faire prendre conscience à tous qu’une loi est en relation avec un moment, un problème, une situation particulière… et qu’elle ne devrait donc en rien être immuable, qu’elle peut se transformer, s’adapter, s’améliorer avec le temps et les événements… Il ne s’agit pas non plus de faire des lois des kleenex qu’on jette du jour au lendemain, il s’agit de créer un cadre légal suffisamment fort (l’ensemble Des droits et devoirs de l’Homme et du Citoyen devraient être à la base de ce cadre) pour que les citoyens se sentent en sécurité et n’aient plus peur du changement à l’intérieur de ce cadre.
Sachez, enfin, que ce projet de loi, malgré toutes les controverses, risque bel et bien de passer en force cet été 2016 grâce au 49.3) et que c’est sans doute une des raisons pour lesquelles, les manifestations, blocages, grèves… se sont succédées ces 2 mois de printemps 2016.